Encore épuisée de mes longues heures de garde de nuit, j’avais toutefois décidé de faire l’effort de me rendre au supermarché pour les courses. Mon réfrigérateur était vide, ou presque, et je n’avais pas toujours beaucoup de temps devant moi pour les faire, à part peut-être passer rapidement à l’épicerie du coin pas très loin de chez moi entre les heures de garde et le temps de repos que je pouvais m’accorder entre mes gardes. Il y a quelques jours, j’avais bien eu une journée entière devant moi mais j’avais décidé de rencontrer la marraine du groupe de soutien auquel j’assistais auparavant avant mon départ en Afrique ; je lui avais promis des nouvelles à mon retour et je n’avais que trop tarder. Aujourd’hui je sacrifiais donc quelques heures de sommeil pour arpenter les rayons du Walmart, à la recherche de mes produits habituels. J’avais peut-être mal choisi mon moment ; en effet, il y avait beaucoup de monde, particulièrement aux caisses. Si j’étais chanceuse – et j’étais persuadée du contraire depuis il y a très longtemps – les caisses seront beaucoup plus libres quand j’en aurais fini.
Sachant que je ne reviendrais pas avant un très long moment, mon chariot était déjà bien remplie. Il ne me restait plus que les légumes et les fruits et je devrais avoir de quoi tenir d’ici là. Je mangeais très souvent à la cafétéria de l’hôpital aussi de toute façon. Je me dirigeais donc vers le dernier rayon qui me concernait. Essayant de me frayer un chemin parmi la foule qui occupait le magasin, je bousculai quelqu’un en me faisant moi-même bousculer. Heureusement, aucun mal ne semblait avoir été fait à cause du chariot. « Excusez-moi, je suis vraiment désolée. » Je cherchai du regard l’homme que j’avais bousculé par mégarde et le reconnut instantanément. Il s’agissait du Docteur Martins, un psychologue que j’avais consulté quelques temps en me voyant incapable de faire mon deuil. Puis au bout de quelques mois j’avais abandonné les séances, et je n’avais plus beaucoup tarder à partir en Afrique après ça. Le reconnaissant donc, je finis par rajouter un « Bonjour. » Puis, pour une raison qui m’échappait, je pris la fuite vers la section des fruits et légumes où je devais de toute façon me rendre déjà. Je ne comprenais pas moi-même mon comportement. Les séances avec le Dr Martins avaient été plus que satisfaisantes ; juste je n’avais jamais été à mon aise en racontant littéralement tout ce que j’avais dans la tête, et il était difficile d’exprimer devant un inconnu ce que l’on ressentait. Toutefois, je devais reconnaître que ça m’avait fait un grand bien, relativement à mon mal-être général.
Je commençai à choisir un sachet de carottes et me retournai pour les déposer dans mon chariot quand je me retrouvai encore une fois nez à nez avec mon ancien psychologue. Je sursautai tout d’abord, puis la surprise passée, je finis par faire un petit sourire gêné, embarrassée de mon comportement il y a quelques instants à peine. Par contre, je semblais incapable de dire quoi que ce soit.