apologetic meeting (ft. nina)

Tirer la porte du salon de thé me demanda plus de force et de courage que je ne m’y attendais. C’était en effet avec un lamentable mélange de honte et de culpabilité que j’entrais dans l’établissement, tête baissée et le regard fuyant. J’avais eu l’audace de venir jusqu’ici mais je n’en avais pas encore suffisamment pour croiser le regard de la propriétaire des lieux. Pourtant, c’était bien pour rencontrer Nina que j’avais l’effort de prendre une journée de repos. Depuis mon retour d’Afrique, je n’avais rien fait d’autre que lui envoyer un bref message pour lui annoncer, comme promis auparavant, de mon retour et puis ça a été le silence radio. Et si j’étais honteuse de me montrer en personne ce jour-là, c’était parce que je n’avais plus cherché à prendre plus contact alors que Nina avait été une très bonne amie et m’avait été surtout d’un très grand soutien en tant que marraine. D’ailleurs, je n’étais jamais retournée voir le groupe non plus…
J’osai enfin lever les yeux afin de voir un minimum où je devais poser les pieds et chercha timidement ma marraine du regard, tout en prenant soin de ne croiser que très peu ceux des clients déjà présents. Elle était au comptoir et s’occupait d’un client, visiblement indécis dans son choix de l’achat d’une boîte de thé. Je me plaçai alors derrière lui, en prenant soin de rester dissimulée et de mettre une distance suffisante entre moi et ce client pour ne pas faire me remarquer par ce dernier non plus. Le temps qu’il occuperait Nina me permettrait de me préparer un peu mieux à confronter mon amie.
J’ignorais combien de temps avait pu s’écouler mais il finit par payer ses achats et manqua de me bousculer en se retournant sur le chemin de la sortie. Je m’excusai brièvement, tête baissée, et m’approchai du comptoir d’où Nina m’observait déjà. «Bonjour. Nina.» réussis-je à articuler avant de lui accorder un petit sourire timide et embarrassée à la fois. Je ne savais plus où me mettre et j’avais même commencé à m’en ronger les ongles inconsciemment. Je comprendrais farfaitement qu’elle soit fâchée que je ne la rende visite que maintenant.  

Mes yeux fixèrent Nina pendant ce qu’il me sembla une éternité avant de voir se dessiner sur son visage familier un doux sourire qui m’apporta beaucoup plus de réconfort que je ne m’y attendais. Mon sourire se fit plus large et plus joyeux. Je crois. Je me détendis un peu aussi ; mes épaules se firent moins tendues et je cessai tout aussi immédiatement de me ronger les ongles – et tout aussi inconsciemment que je ne l’avais commencé. « Heu-reuse, moi aussi. » J’avais failli bégayer en réalisant mon choix de terme. Le bonheur n’était plus vraiment ce que j’espérais de la vie. Et pourtant, à cet instant précis, en apercevant mon amie, cela avait apporté un peu de chaleur à mon cœur. Cette même chaleur que je ressentais en visitant de temps à autre ma famille en Angleterre depuis ma migration aux Etats-Unis. Je réalisai alors que, pour le peu de temps que nous nous étions connues, elle avait joué un grand rôle dans ma vie et que, si j’étais bien HEUREUSE de la revoir.
Un élan d’affection s’était épris de moi mais le comptoir était entre nous deux. Et je n’étais pas non plus très sûre que les câlins soient quelque chose que l’on faisait toutes les deux. Je chassai cette idée de mon esprit et revint à une futilité. « J’espère que je ne te dérange pas trop. » En effet, il aurait peut-être été plus judicieux de prévenir de ma visite, après tout c’était avant tout le lieu de travail de Nina. Seulement, l’idée de venir m’était venue d’un coup de tête ; je ne saurais trop en expliquer la raison. « Je ne travaille pas aujourd’hui alors j’ai tenté ma chance. » Un nouveau sourire timide apparut sur mon visage et une bouffée de chaleur se fit sentir. Comprenant que j’avais gardé mon manteau tout ce temps, je dénouai la ceinture autour de ma taille tout en prenant un regard d’ensemble du salon. « Tu crois qu’on peut s’installer dans un petit coin tranquille ? » lui demandai-je tandis que j’ôtai mon manteau. Et j’attendais alors une réponse.
 

Ayant ôté mon manteau, je me sentais dorénavant un peu plus à mon aise et rien ne présageait que je ne passe un bon moment. Nina semblait avoir accepté cette pause avec une grande joie et je l’observai donc tandis qu’elle chargeait à sa jeune employée de s’occuper du service pour le moment. Je reconnus sans peine cette frayeur et cette nervosité qui animait les yeux de cette dernière ; ces émotions avaient été mes compagnons pendant une bonne partie de ma vie. Certes, mes expériences passées n’étaient en rien comparables et son inquiétude pouvait donc me sembler futile puisque l’enjeu n’était ici que de faire parfaitement son travail. Toutefois, je la comprenais et je compatissais.
Mon amie me fit un sourire et, m’en apercevant, je quittai mes pensées et le lui rendis, tout aussi aimablement. « Pour moi, ce sera un thé. Comme à mon habitude. Je te fais confiance en ce qui concerne sa saveur, c’est toi la connaisseuse après tout. » répondis-je à l’interrogation de ma marraine. A vrai dire, peu m’importait ce que je buvais, ce n’était pas ce qui m’intéressait à cet instant. En fait, cela faisait un moment maintenant que j’avais perdu goût à la nourriture et au plaisir d’un bon thé. Même cuisiner ne m’intéressait plus vraiment ; je ne le faisais plus par nécessité que par plaisir, contrairement à auparavant.
Tandis qu’elle nous préparait quelque chose à boire, mon regard se perdit un peu dans le vide et je repensais à toutes les fois où je LUI avais préparé du thé quand il aurait préféré un expresso. Il se moquerait de moi et de mes compères BRITISH et notre passion pour le thé mais toujours IL le buvait sans broncher. En fait, je le suspectais au fond d’aimer cela. Mon cœur se serra et ma main se posa sur ma poitrine par réflexe. Je feignis un sourire à la jeune employée qui m’observait, puis sauvée par le gong, je rejoignis Nina pour qu’on s’installe.
A peine étions nous installées que sa curiosité prit le dessus, elle voulait qu’on parle de mon voyage. En soi, c’était normale, voire logique, que nous en parlions mais je ne m’étais pas attendu à ce que le sujet tombe aussi rapidement et abruptement. J’hésitai quelques secondes ; je ne savais pas trop par où commencer et encore moins quels étaient les bons choix de mots. « C’était à la fois un très beau voyage. Enrichissant. J’ai appris beaucoup. En tant que médecin. Ou même en tant que personne. » La vérité était que mon séjour là-bas m’avait fait réalisé que ma douleur n’était rien en comparaison à ce que vivaient tous ces hommes, femmes et enfants qui eux avaient réellement besoin d’aide et qui pourtant ne se laissaient pas abattre par la vie quand moi je me montrais incapable de faire un simple deuil. « J’ai beaucoup aimé apporter de l’aide à ces gens. » Même si, au fond, j’étais persuadée ne l’avoir fait qu’à une fin égoïste : oublier ma douleur en partageant la leur. Peut-être ce que je pensais là était ce que je devais partager avec ma marraine à propos de mon voyage mais je n’osais pas. Mon cœur commença à me serrer de nouveau. Mon visage se fit plus sombre et je serrais la anse de ma tasse fumante pour essayer de cacher mon mal-être. Et apercevant, le petit bracelet de fortune à mon poignée, je vis là une opportunité désespérée d’assurer la conversation pour que mon interlocutrice ne se rende peut-être compte de rien. « Une petite fille m’avait fabriqué ce bracelet parce que je m’étais occupé de son jeune frère… » dis-je d’un ton un peu ému tant par ce souvenir que mon mal que je voulais tant dissimuler.